Mes allers-retours entre la France, compréhensive compagne, et le Liban, ténébreuse maîtresse, entre prêt-à-porter et haute-couture, mes transports incessants me trahissent. Mon intranquillité, si elle provient peut-être d’un pays dédaigné par la paix, elle a donné sa pulsation, sa ligne, ses rails à ma maison.
Quand je crée ma maison à 25 ans, j’ai un geste, et un désir tout-puissant : habiller la femme, la magnifier.
C'est à Paris que j'ai présenté en 2009 ma première collection de couture, au Petit Théâtre de Babylone qui abrite jusqu’à aujourd’hui ma maison, là où je saisis l’urbanité, où j’élabore ma modernité, où je respire le mouvement.
Ni entrave, ni contrainte, ni corset, plutôt des fentes latérales pour l’amplitude de gestes et des poches partout pour y mettre les mains, plutôt une myriade de possibles, comme une robe et ses trois façons d’être portée, une ligne de choix comme autant de points de fuite, plutôt la grâce de l’esquive et du changement, de la métamorphose et de l’évaporation. Belles de jour ou de nuit, à tout âge, belles de joie ou de clairs - obscurs, belles d’être émancipées, exemptées, dispensées de codes, carcans ou préjugés.
Légères, aériennes, le vêtement comme une voile au vent pour creuser son sillon, les femmes que je vois et veux regarder sont insaisissables, des étoiles filées, des mirages qui s’échappent, des silhouettes exceptionnelles dispensées de gravité, insoumises au temps. Ces femmes existent et ont existé, elles sont des voyageuses impénitentes, des esprits curieux et des corps dansants, puissantes et courageuses.
Ma couture se veut littérature, elle romance le quotidien, donne une épaisseur gracile à l’ordinaire des gestes, sublime la banalité des moments.
Comme un bâtiment élégant dont l’équilibre dépend de la forme et des épaules sur lesquelles il est posé. De l’Orient, en effet, j’ai appris comment habiller l’ossature, comment le corps tient le vêtement quand, en Occident, le vêtement retient, voire comprime, la chair.
Mon vêtement est architecture. Ce vêtement, je le monte, je le plie, le drape, le découpe, je l’épure, je l’élève dans un même rectangle de tissu. D’un même morceau de matière, il émerge.
J’invoque l’élégance souple et la pureté. Quand j’esquisse mes modèles, je trace, d’un mouvement semblable à un réflexe, quelques traits. Parfois, parce qu’insatisfait, je repars aux premiers traits, au dépouillé ; je reviens à l’origine, pour retrouver une droiture, une simplicité, une fonctionnalité du vêtement. Facile à enfiler, à défiler et retirer.
Je mets en scène mes sources, ma liberté et celle des femmes avec : une robe chemise qui tient à la fois de l’abaya orientale, de la chemise de smoking et la blouse de peintre en coton blanc, une veste qui se pose comme on veut, à l’épaule structurée et fentes latérales, un manteau-caftan, un imprimé fauve, une robe à la fluidité de toge, au tombé relâché, mais charpentée par des bandes, une robe dite « citrouille » qui touche pudiquement le haut du corps avant de s’évase, ou un trench ondoyant mais discipliné, aux fentes hautes pour vagabonder.
Mes couleurs, comme mes gestes, sont premiers. Elles n’hésitent pas, elles s’affirment, avec une intensité qui reflète la lumière ou une profondeur qui la capture. Le vêtement décuple ainsi le pouvoir d’attraction, se fait surface de séduction.